Comment reconnaître du matériel Montessori 2/6 : isoler la difficulté
Dans notre série sur les critères qui permettent de reconnaître si un matériel est réellement Montessori ou non, après avoir parlé de la taille qui doit être adaptée à l’enfant, nous allons aborder le deuxième critère : l’isolation de la difficulté.
C’est peut-être la principale particularité de ce matériel Montessori : isoler et mettre en valeur la difficulté. Parmi les exemples les plus connus : la fameuse tour rose, absolument emblématique de la pédagogie Montessori.
Avant de continuer, si vous préférez écouter le podcast de cet article ; par exemple en faisant vos tâches ménagères ou pendant un trajet en voiture, je vous invite à cliquer sur le lecteur ci-dessous :
Vous avez probablement vu partout ailleurs des tours avec des cubes de toutes les couleurs, des petits dessins dessus (souvent pleins de charme d’ailleurs), et forcément, vous avez été tentés. Vous vous êtes peut-être dit que c’était beaucoup plus joli, beaucoup plus attirant pour un enfant que cette tour un peu ennuyeuse, avec ce rose qui, reconnaissons-le, est assez affreux…
Mais, l’intérêt de cette tour, c’est que, justement, tous les cubes sont de la même couleur ! Tout ce qui varie d’un cube à l’autre, c’est sa taille, la longueur de son côté, donc l’enfant n’a pas d’autres critères, pas d’autres éléments pour former son jugement que la taille des cubes. Alors que vous avez probablement déjà fait cette expérience avec une tour dans laquelle les cubes sont de différentes couleurs : on finit par retenir la séquence de couleurs pour ranger la tour, plutôt que de se concentrer sur la taille des cubes.
Souvent d’ailleurs, cela fonctionne de manière séquentielle : un cube jaune, un cube rouge, un cube bleu, un cube jaune, un cube rouge, un cube bleu etc. Cela m’est fréquemment arrivé en rangeant des jouets d’enfant, que ce soit à la maison ou dans des ludothèques : je ne regardais même plus la taille des cubes, car il est beaucoup plus facile pour de retenir la séquence jaune-rouge-bleu, jaune-rouge-bleu que d’essayer de discriminer visuellement entre des cubes de taille relativement proche.

Mais du coup, on ne fait pas travailler notre cerveau sur cet aspect-là des choses ! La tour rose a pour objectif de faire travailler la reconnaissance, l’estimation, l’évaluation visuelle de la taille des choses. Par ailleurs, elle permet aussi de travailler la numération, mais nous y reviendrons dans un article ultérieur de cette série.
La boîte des couleurs est un autre matériel qui illustre parfaitement ce principe de l’isolation de la difficulté. Elle est constituée de petites tablettes, idéalement en bois, sinon en plastique, qui sont rigoureusement identiques à l’exception de la couleur.
L’enfant ne se concentre donc pas sur la sensation tactile ou la taille des tablettes, mais uniquement sur leur couleur.
Si vous mélangez des variations de couleur et de taille sur un exercice comme une boîte des couleurs ou une tour de cubes empilés, l’enfant sera perturbé, va mélanger les choses, ce qui est dommage car on cherche justement à créer dans son cerveau des connexions importantes pour l’avenir.
Un autre exemple de matériel qui, cette fois-ci, n’est pas un matériel Montessori, est ce fameux escalier de 16 cylindres de couleurs. Vous l’avez probablement vu un peu partout ou vous en avez peut-être un chez vous. Il ne s’agit pas d’un matériel Montessori, même s’il est en bois, même s’il a de jolies couleurs. Ce n’est pas un matériel Montessori, justement parce qu’il mélange deux difficultés. La première : le tri suivant la couleur et la deuxième, la gradation de taille.
Pour être tout à fait honnête, même si je sais que beaucoup de gens l’apprécient et que certains enfants l’utilisent avec bonheur, en ce qui nous concerne, il n’a jamais eu beaucoup de succès à la maison. Nous l’avons depuis notre premier enfant et il n’a quasiment jamais servi. En fait, je le garde plus que pour mes formations, comme exemple d’un matériel qui n’est pas Montessori.
Très honnêtement, chaque fois que je l’ai mis sur nos étagères, tout ce qui se passait, c’était que les enfants le renversaient systématiquement, mettaient les cylindres un peu partout, en perdaient un (que l’on finissait généralement par retrouver, jusqu’à ce que l’on en perde définitivement un). Au final, les enfants n’accrochaient pas vraiment.
Pourquoi ? Parce que lorsque je le présentais aux enfants pour la première fois, souvent ils étaient trop jeunes. C’est un matériel qui semble simple, et que l’on a envie de présenter à un enfant de deux ans à peu près. Le problème, c’est qu’avec ces deux difficultés, c’est un travail trop compliqué. Lorsqu’on essaie de le représenter plus tard, ils ont d’autres matériels à leur disposition qui sont plus attirants parce qu’ils correspondent mieux à leur niveau de réflexion ou à leurs besoins du moment.

Donc surtout ne vous sentez pas gênée si vous souhaitez offrir ce jouet à votre enfant ou à un enfant de votre entourage, je sais que ce jeu est très apprécié dans d’autres familles, mais ce n’est pas du matériel Montessori.
J’en arrive à un autre exemple un peu décevant. Il s’agit d’une boîte à encastrements que l’on trouvait il y a quelques années (désolée, je vais cafter) chez Oxybul. L’intérêt de cette boîte, c’était qu’elle combinait plusieurs encastrements à la fois puisqu’il y avait un couvercle pour y encastrer un cube, un autre pour un cylindre, un autre pour un jeton et enfin pour un prisme à section triangulaire.
C’était évidemment très intéressant pour gagner de la place sur ses étagères. Si vous utilisez une boîte similaire, je vous conseille de fixer le couvercle du dessus avec du scotch pour faire travailler à l’enfant un volume à la fois.
De ce côté-là, c’était extrêmement bien fait et cela évitait d’avoir quatre boîtes différentes : il suffisait de changer le couvercle au fur et à mesure que l’enfant s’améliorait et découvrait une nouvelle forme, un nouveau niveau de difficulté.
Le problème était le tiroir. Tant qu’on travaillait sans tiroir, ce qui est très bien au départ pour bien intégrer le fait que l’objet existe toujours une fois qu’il a traversé la boîte (c’est la notion de permanence de l’objet), aucun problème.
Mais dès qu’on rajoutait le tiroir, il avait à mon sens un gros défaut : lorsque l’enfant essayait de le remettre, il se bloquait et n’allait pas jusqu’au bout. Il fallait le remonter un petit peu pour l’enfoncer complètement. Un enfant d’un an et demi à deux ans se retrouvait donc bloqué par cette bête difficulté du tiroir alors qu’il était tout à fait capable de faire les encastrements.
Oxybul a d’ailleurs modifié son système depuis en remplaçant le tiroir par une porte qui s’ouvre sur le devant et qui est beaucoup plus simple d’utilisation. On trouve un modèle similaire avec également cette porte sur le devant et un système de couvercles interchangeables chez Nature & découverte (les couvercles tiennent d’ailleurs mieux sur ce deuxième modèle).
Vous savez maintenant comment reconnaître un matériel montessori qui isole et mette en valeur une seule difficulté à la fois. Je vous donne rendez-vous dans le prochain article de notre série pour découvrir le prochain critère : un matériel concret.