Comment reconnaître du matériel Montessori 3/6 : un matériel concret
Aujourd’hui, nous abordons le troisième critère qui permet de reconnaître un matériel Montessori : en plus d’être adapté à la taille de l’enfant et d’isoler la difficulté, il s’agit d’un matériel concret.
Avant de continuer, si vous préférez écouter le podcast de cet article ; par exemple en faisant vos tâches ménagères ou pendant un trajet en voiture, je vous invite à cliquer sur le lecteur ci-dessous :
Tout le matériel Montessori est en effet concret, voire sensoriel. Pour chaque activité, on essaie de partir d’une situation réelle pour aboutir à l’abstraction, ce qui permet d’associer à la mémoire visuelle et logique, la mémoire sensorielle, musculaire et tactile. C’est un phénomène extrêmement puissant !
Laissez-moi vous donner un exemple qui parlera sans doute à tous les musiciens : plus jeune, je jouais de la harpe, et lorsque j’étais au conservatoire, tous les examens avaient lieu sous la forme d’auditions, c’est-à-dire que l’on devait monter sur scène dans un auditorium et jouer devant un jury de professeurs qui évaluaient notre niveau.
Le stress était intense, certains harpistes arrivaient à l’audition tellement stressés que mon professeur distribuait des calmants et certains s’entraînaient tellement qu’ils arrivaient avec les doigts en sang et que notre professeur se retrouvait à essuyer consciencieusement le sang qui restait sur les cordes entre deux morceaux… Oui, c’était sans doute une autre époque, et heureusement !
Autant vous dire que j’apprenais scrupuleusement mes morceaux ! Car, oui, petite précision, les morceaux devaient être joués par cœur, sans partition. Et moi qui avais plutôt une mémoire visuelle, je me concentrais sur la visualisation de la partition et j’avais en même temps en tête le nom des notes de la mélodie que je me fredonnais intérieurement.
Seulement, à chaque fois, le jour J, lorsqu’il fallait monter sur la scène éclairée, devant une salle parfaitement obscure, avec des professeurs qu’on n’avait jamais vus, qui étaient réunis là pour m’examiner, pour m’évaluer, bien évidemment le trac emportait tout. Je ne visualisais plus rien de la partition. Les quelques notes qui me restaient en tête ne me fournissaient qu’un bout de la mélodie et il me manquait toute l’harmonie (les accords).
La seule chose qui restait en place, c’était ce que mes doigts savaient par cœur : ce que j’avais appris dans ma mémoire musculaire, ma mémoire sensorielle. La seule solution était d’essayer de laisser mes doigts jouer à ma place, sans rien contrôler, puisque eux seuls savaient ce qu’il fallait faire.
Encore aujourd’hui, lorsque j’essaie de me rappeler certains morceaux que j’ai appris il y a très longtemps et que j’ai oubliés, je ne suis plus capable de retrouver le nom des notes, la mélodie. Si en revanche je me mets devant un piano ou une harpe, que je me détends complètement et que je laisse mes doigts jouer, bien souvent j’arrive à en retrouver une bonne partie.
Cette mémoire musculaire est l’une des plus profondes, des plus imprégnées en nous et c’est cette mémoire que nous allons essayer de travailler en Montessori.
Je pense d’ailleurs que lorsque Maria Montessori parle de l’esprit absorbant, c’est en partie à cela qu’elle fait allusion. L’esprit n’est pas une tablette que l’on grave, c’est une éponge qui absorbe, qui intègre à elle-même ce qu’elle reçoit. C’est là un phénomène extrêmement puissant : cela signifie que nous devenons ce que nous apprenons…
Mais au-delà de la théorie, abordons un exemple avec l’étude des animaux. Normalement, dans la pédagogie Montessori, la première étape consiste à emmener les enfants voir les animaux dans la nature ou dans leur environnement, comme une ferme.

Ensuite, l’idéal est d’utiliser de petites figurines en 3D, comme celles de la marque Schleich ou Papo, qui permettent à l’enfant de toucher, de sentir chacune des parties de l’animal et de revoir avec lui leur nom, comme les oreilles, la tête, le corps, les pattes antérieures, les pattes postérieures, la queue, etc.
À partir de là, on peut faire tout un travail pour associer l’animal en 3D et une photo par exemple, puis passer au dessin pour apprendre l’abstraction.
Il y a donc une progression du plus sensoriel au moins sensoriel, un passage de la réalité à une réduction en taille, puis le passage de la 3D à la 2D réaliste, puis le passage d’une photo réaliste à un dessin qui constitue déjà une abstraction.
À chaque fois, comme mentionné dans le dernier article, on avance étape par étape, petit à petit, en isolant la difficulté.
C’est vous dire à quel point Maria Montessori s’appuyait sur le concret du matériel et comptait sur l’esprit absorbant de l’enfant à tous les niveaux.
De même, si vous avez déjà eu l’occasion de rencontrer le superbe matériel des perles dorées Montessori, vous savez peut-être qu’il est constitué de gros cubes de perles (ou de bois) qui représentent les milliers, de plaques carrées qui représentent les centaines, de barrettes symbolisant les dizaines et de perles unités.
Une addition consiste donc, après avoir formé les nombres sur des plateaux distincts avec ce matériel, à rassembler les cubes, les plaques, les barrettes et les perles unités de tous les nombres que l’on souhaite additionner dans un seul plateau ou un seul tissu.
Rassembler tout cela, c’est additionner, c’est “mettre ensemble”.
L’enfant vit cela de façon très physique, très musculaire, très sensorielle et se forge ainsi une image très concrète de ce que représente chaque catégorie du système décimal.

Ainsi, un millier, c’est quelque chose de lourd, de conséquent et d’imposant pour ses mains. Une centaine, moi adulte, je peux la cacher dans mes mains, mais ce ne sera pas toujours possible pour l’enfant (ça dépassera). En revanche, une barrette de 10 est facilement transportable et on peut facilement la cacher dans ses mains. Quant aux unités, les petites perles sont tellement fines qu’il faut les tenir à deux doigts et les réunir dans une petite coupelle pour qu’elles ne roulent pas partout.
Bref, vous voyez que l’on se forge une image sensorielle de ces concepts mathématiques. À partir de là, l’enfant va se former une image mentale dans son esprit, il va passer à l’abstraction. Mais cela n’interviendra que plus tard, après plusieurs étapes de manipulation.
Vous voyez donc que même pour aborder des concepts aussi abstraits que le système décimal, le passage par le concret est fondamental dans le matériel Montessori.
Un autre point important que je voudrais aborder aujourd’hui dans ce contexte, c’est qu’il existe des applications Montessori pour smartphones. Alors qu’en penser ? Très honnêtement, je considère que cela ne relève pas du matériel Montessori. Le processus n’est pas le même lorsque vous manipulez des objets de vos mains (c’est d’ailleurs à la racine même du mot “manipuler”), et lorsque vous faites glisser des choses sur un écran de smartphone. Cela n’a rien à voir.
Un aspect fondamental qui est malheureusement oublié dans ces applications, c’est que tous ces processus musculaires et sensoriels ont également une autre vertu : ils ralentissent le processus.
Cela peut paraître contre-productif : n’a-t-on pas envie que les enfants aillent vite et travaillent aussi rapidement que possible ? Eh bien non, ce n’est pas un objectif souhaitable : les enfants ont besoin de se concentrer, de passer du temps sur chaque chose pour bien s’en imprégner et en retirer tout ce qu’ils peuvent.
En particulier pour des enfants brillants, ou des enfants à haut potentiel intellectuel : même s’ils veulent absolument aller plus vite, car ils ont le sentiment qu’ils ont tout compris, le fait de devoir utiliser leurs mains, ou de marcher, d’être en mouvement pour certaines activités, a cette immense vertu de faire durer l’activité un peu plus longtemps et donc de les faire réfléchir un peu plus à ce qu’ils font. Vous verrez qu’ils en tireront des découvertes souvent surprenantes !
Par ailleurs, il a été prouvé par de nombreuses études qu’il est bien plus efficace d’apprendre en mouvement et que les connexions neuronales se font alors bien mieux. La mémoire est également bien plus solide lorsque les choses ont été apprises en mouvement.
C’est pourquoi, à mon humble avis, les applications peuvent parfois avoir leur intérêt, par exemple si vous partez en vacances et que vous avez un enfant qui a déjà manipulé du matériel Montessori, qui y est habitué et que vous n’avez pas envie de transporter toutes ces activités dans vos valises. Dans ce contexte, pourquoi pas : c’est pratique, cela ne prend pas de place et peut être un rappel utile de certaines notions si vous partez pour une longue durée et que l’enfant risque d’oublier.
Mais, le plus souvent, je pense qu’elles sont totalement superflues. Ne vous embarrassez donc pas de ça et consacrez les 4, 5 ou 10 euros que vous coûterait une application à acheter du matériel Montessori concret, ce sera toujours ça de pris !
Pour le même prix, achetez par exemple plutôt une figurine d’animal en trois dimensions de qualité (marque Schleich ou Papo). Le prix sera sensiblement équivalent et vous aurez quelque chose de tout à fait réel et tangible avec lequel vos enfants et les enfants de votre entourage pourront progresser plus longtemps !
Rendez-vous dans notre prochain article pour découvrir le quatrième critère d’un matériel Montessori : l’auto-correction.