Éducation ou instruction : quel vocabulaire pour quelle vision ?
L’éducation ! Un bien grand mot… Mais quoi de plus approprié pour le premier billet de ce blog ? C’est un mot que j’aime beaucoup, car il renferme plusieurs sens. Etymologiquement, il viendrait à la fois d’educare, qui signifie nourrir, élever un animal, et d’educere, qui signifie mener en-dehors. Il est amusant de penser qu’au départ, éduquer un enfant consistait simplement à le nourrir correctement. Mais après tout, n’est-ce pas toujours le cas lorsque l’on parle d’éducation aujourd’hui ? Il s’agit bien de nourrir l’enfant, de lui apporter une subsistance.
- Subsistance intellectuelle : apprendre à lire, écrire, compter, calculer, raisonner…
- Subsistance morale : entretenir certaines vertus comme le goût de l’effort, le respect d’autrui, et décourager des tendances nuisibles comme le mensonge ou la violence.
- Subsistance créatrice : apprendre à faire des choses de ses mains, à utiliser sa créativité, et à s’exprimer.
J’aime cette idée que ce que l’on apprend, comme la nourriture, finit par nous constituer. Lorsque nous découvrons une nouvelle notion, nous grandissons et nous nous modifions, comme après un grand bol de soupe ! Et ce n’est pas une façon de parler. Il est surprenant de constater par exemple que lorsqu’un adulte a grandi dans un foyer bilingue et a appris deux langues dès le plus jeune âge, son cerveau n’est pas constitué de la même façon que celui d’un autre adulte qui est devenu bilingue plus tard. Chez le premier, la zone du langage comprend des connexions neuronales liées aux deux langues, entremêlées les unes aux autres. Chez le second, la zone du langage s’est divisée en deux, une pour chaque langue, bien séparées.
De même, lorsque la langue maternelle comprend plus de mots pour exprimer, disons des nuances de couleur, la reconnaissance des couleurs est affinée. L’expérience a été réalisée entre autres avec des russophones et des anglophones. Il existe en effet en russe deux mots pour parler de bleu : синий (« sini » qui signifie bleu foncé) et голубой (« golouboï » qui signifie bleu clair) tandis que l’anglais, comme le français, n’utilise qu’un seul mot, « blue ». Dans cette étude sur le langage et la discrimination des couleurs, on a donc présenté à ces deux groupes des séries de paires de bleus. Ils devaient déterminer si les deux bleus étaient différents ou identiques. Si un bleu rentrait dans la catégorie « sini » et l’autre dans la catégorie « golouboï », les russophones avaient plus de chances de les différencier que les anglophones. Depuis tout petits, ils avaient pris l’habitude de les distinguer dans leurs paroles, et cette simple distinction linguistique avait entraîné une plus grande sensibilité du regard. Eh oui, notre langue influe directement sur notre corps, tout comme la nourriture que nous avalons !
Mais éducation signifie également « tirer au-dehors », c’est-à-dire entraîner au-delà de ses limites, faire grandir, élever. Et justement, élever a conservé ces deux sens, littéral et imagé : on élève un enfant comme on le porterait dans ses bras au-dessus de sa tête. C’est d’ailleurs intéressant de voir qu’en français, on élève des enfants, on élève des animaux et on élève du vin… C’est bien typique de chez nous !
Un autre mot lié à l’éducation que j’aime beaucoup, du moins pour sa signification d’origine, c’est « pédagogue ». Ce mot vient de l’Antiquité grecque, durant laquelle les enfants de citoyens se rendaient chaque jour chez un maître pour y apprendre la lecture, l’écriture, la musique et le sport. Le pédagogue n’était pas le maître, c’était simplement la personne qui conduisait les enfants chez le maître (comme les pedibus d’aujourd’hui pour aller à l’école). C’est donc celui qui, littéralement, « conduit les enfants » vers le savoir. C’est exactement ce que l’on s’efforce de faire en Montessori : amener les enfants dans une ambiance préparée, les conduire vers ce qui pourra les faire grandir. Le pédagogue n’instruit pas lui-même, il oriente, il entraîne (comme une souricette !).
Ah, instruction ! Ce mot-là en revanche me plaît moins. Il s’agit de « faire rentrer », d’assembler, de donner des outils, de construire comme on construirait une maison en Lego. Comme si l’enfant n’était qu’une base de travail, une structure creuse que l’on remplirait de tout ce que nous savons et que nous estimons important. De la même façon, le juge d’instruction « instruit » un dossier judiciaire, il le constitue, il l’élabore à partir des informations qu’il reçoit ou découvre, pour donner des outils au tribunal.
Cette conception mécaniste de l’éducation, qui vient de l’extérieur et qu’il faut faire rentrer de force dans une tête vide me déplaît profondément. Maria Montessori disait, mais elle n’était pas la première (on peut remonter jusqu’à Plutarque !), que l’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais une source que l’on laisse jaillir. D’autres parlent d’un feu que l’on allume. Dans les deux cas, le mouvement vient de l’intérieur et se diffuse vers l’extérieur (sous forme d’eau ou de chaleur). Tel que je le conçois, le rôle de l’éducateur, du pédagogue et donc du parent, premier éducateur de ses enfants, consiste à amener l’enfant dans un environnement adapté, propice au développement de ses capacités et de sa créativité. Dans ces conditions, l’enfant pourra laisser exploser tout son potentiel et en fera ensuite profiter les autres.
Au niveau du ministère, la transition entre les noms Instruction publique et Education nationale a justement pour origine ce changement de point de vue. Dans un récent Bulletin du Journal Officiel, on trouve encore : « Il faut distinguer l’instruction publique de l’éducation nationale. L’instruction publique éclaire et exerce l’esprit, l’éducation nationale doit former le cœur : la première doit donner des lumières, et la seconde en fera la consistance et la force. »
On peut se poser la question de savoir si c’est bien le rôle d’une école nationale que de former le cœur des enfants. Ne serait-ce pas plutôt de la responsabilité des parents ? Est-ce quelque chose que l’on peut réellement déléguer à l’école ? Voyons le bon côté des choses, dans les mots, on essaie de ne plus gaver les élèves de notions mais de développer leurs facultés. Dans la pratique, c’est une autre histoire, et avec des consignes ministérielles souvent bien floues, les résultats dépendent généralement de l’établissement et de l’enseignant.
Quoi qu’il en soit, en tant que parents, notre responsabilité est immense.

Nous en savons bien plus aujourd’hui sur le fonctionnement et le développement du cerveau, même si celui-ci conserve bien des mystères. De nombreux philosophes, pédagogues et éducateurs nous ont précédés et leurs succès ou leurs échecs peuvent maintenant nous guider. Nous avons fait ici le choix de la pédagogie Montessori, pour sa cohérence, sa structure et son adéquation avec le rythme et les besoins de l’enfant, mais d’autres choix sont possibles. Dans tous les cas, il est bon de revenir à l’essentiel de ce qu’est l’éducation : une nourriture riche et stimulante
Bonjour,
Je suis toujours étonné de lire, que même après avoir vu le sens d’éduquer (poser une action d’un éducateur vers un éduqué – bien d’un adulte sur un enfant), vous ne constatiez pas qu’il s’agit d’une forme de domination. (http://fr.kraetzae.de/eduquer/) En effet, il est question de mener et de guider des personnes qui n’ont rien demandé à la base. Pour ceux qui en font le choix c’est autre chose.
Il existe un très bon exercice qui peut aider à le voir : relire ce texte en remplaçant le mot enfant par le mot femme.
Ca m’attriste d’autant plus, de faire ce constat, parce que j’imagine que des humains à votre contact (peu importe l’âge) apprennent très certainement plein de choses juste parce que vous les incarnez et que donc vous les montrez. Pourquoi faudrait-il (en plus) mener ou guider ? Quelle est la crainte pour avoir ce besoin là ?
merci de m’avoir lu
Votre commentaire est intéressant mais j’assume parfaitement le fait de mener et de guider mes enfants. Je vais même aller plus loin : toute forme de domination n’est pas à exclure. Nous vivons dans une société dans laquelle, pour le bien de tous, nous acceptons la domination de la loi. Si cette loi devient injuste, nous pouvons nous révolter, mais sinon nous acceptons d’être menés et dirigés par elle.
Les termes « d’adultisme » par exemple ne me touchent pas le moins du monde. Oui, je considère (et vous êtes parfaitement libre de ne pas être d’accord) que les enfants humains ont besoin d’éducation. Nous sommes d’ailleurs l’espèce chez qui les petits mettent le plus de temps à se séparer de leurs parents et sont les plus immatures au moment de la naissance. La plupart des mammifères peuvent marcher quelques heures seulement après la naissance et aller trouver leur nourriture (le sein de leur mère). Ce n’est pas le cas du petit d’homme, qui passe l’équivalent d’une deuxième grossesse à acquérir un degré d’autonomie pourtant minime.
Or les scientifiques s’accordent à penser que c’est ce qui permet à l’homme de s’adapter beaucoup plus vite que les espèces animales à leur monde. Un poulain, lorsqu’il naît, a déjà de nombreuses compétences, mais qui sont les mêmes pour tous les poulains du monde entier. Un enfant, lorsqu’il naît, ne marche pas, ne parle pas, et élabore toutes ces compétences en fonction du monde qui l’entoure. C’est entre autres ce qui permet une grande résilience. Il s’adapte à ses parents, à son milieu, à sa culture.
Et étant donné cette grande dépendance de l’enfant vis-à-vis de ses parents, je considère qu’il est normal de ne pas se contenter de vivre à côté de lui, comme les parents mammifères ordinaires, mais qu’il est de notre devoir de le guider.
Votre exercice qui consisterait à remplacer le mot enfant par le mot femme n’a pas de sens dans ce contexte car la femme ne dépend pas de l’homme comme l’enfant dépend de ses parents. Par ailleurs, pourquoi supposer qu’il y aurait une crainte derrière tout cela ? Je suis quelqu’un de très serein et l’éducation que je donne à mes enfants n’est en aucun cas dirigée par la peur, bien au contraire. C’est un pur jugement de valeur de votre part.
Mais merci d’avoir ouvert ce débat. Bonne soirée
Bonjour,
L’ampleur de l’impact que l’acte d’éduquer et d’instruire ont sur la vie, donc sur les relations et les liens fait que je me permets de nourrir la réflexion proposée dans votre article :
educare : contient le radical duc qui signifie conduire comme dans aqueduc (conduire l’eau), viaduc etc.
Education signifie à la fois l’acte de conduire (ou mener pour reprendre le terme utilisé dans l’article) d’un éducateur sur un éduqué, et le résultat de cet acte. L’éducateur agit sur l’éduquer. Il le conduit vers un but ne serait-ce que le mener en-dehors comme il est écrit dans cet article. La plus part du temps il s’agit de le conduire vers et pour son bien (supposé par l’éducateur).
En admettant qu’éduquer signifie amener en-dehors, il me semble donc inévitable pour y parvenir d’y rentrer dans un premier temps. Instruire ou éduquer, un cas comme dans l’autre il s’agit d’avoir l’intention de pénétrer en l’autre. Je vois donc la même chose que vous en ce qui concerne l’acte d’instruire.
Autres questions :
Qui a éduquer le premier éducateur ?
Qui a instruit le premier instructeur ?
Tout influence tout. Les humains s’inter-influencent, s’inter-enseignent (s’inter-montrent) par le simple fait d’être là peu importe leur âge. Mais tous n’agissent pas sur les autres.
A partir de là, il m’apparaît plus approprié d’être conscient de ce que j’enseigne-montre (je ne fait pas référence ici au j’enseigne-professer) que vouloir conduire l’autre. Et quoi que je dise, le bien que je crois être celui de l’autre et vers lequel je cherche à l’amener sera toujours le mien puisque c’est ma croyance.
Je propose la lecture d’un texte en lien avec le sujet dont voici le lien et un extrait :
http://www.education-authentique.org/uploads/PDF-DOC/LLI-La_liberte_dinstruction.pdf
« Mais n’y aurait-il pas un droit « de décider ce qui entre dans [mon] esprit7» ? N’est-il pas effarant qu’aucune Convention, Déclaration, constitution, Loi… ne reconnaisse – plutôt que le droit d’un autre à m’instruire – le droit pour moi d’être curieux, le « droit d’apprendre » ? »
Bien à vous