Les ambiances Montessori : quelles activités Montessori pour quel âge ?
Comme tout mode d’éducation, la pédagogie Montessori a son propre vocabulaire, qui peut parfois dérouter. Steiner a ses jardins d’enfant, Reggio a ses 100 langages, Froebel a ses dons, la pédagogie Montessori a ses ambiances.
Une ambiance Montessori, c’est en premier lieu un regroupement d’enfant (le fameux « groupe-classe » de l’Education nationale), dans une tranche d’âge assez large pour assurer un mélange des âges et favoriser la coopération entre les plus grands et les plus petits. C’est aussi un espace préparé avec du matériel spécifique, mais c’est avant tout une atmosphère, un cadre, qui regroupe aussi bien l’éducateur que la salle physique et les enfants qui s’y trouvent. Le premier rôle d’un éducateur est dons de « poser l’ambiance », qui doit être propice au travail et à la concentration.
On dit ainsi qu’un enfant fait partie d’une ambiance 3-6 ans ou d’une ambiance 6-12 ans, mais il en existe bien d’autres !
Le point commun entre les enfants d’une même ambiance est qu’ils partagent des besoins communs, des périodes sensibles communes (si le terme de « période sensible » vous est inconnu, je vous renvoie à ce billet où je vous explique tout). Les frontières entre les ambiances sont donc davantage liées à des caps de développement qu’à un âge précis, comme nous le verrons plus loin.
Quelles sont ces différentes ambiances et quelles activités y pratique-t-on pour répondre aux besoins des enfants ? C’est ce à quoi je vais m’efforcer de répondre dans cet article.
Avant de continuer, si vous préférez écouter le podcast de cet article ; par exemple en faisant vos tâches ménagères ou pendant un trajet en voiture, je vous invite à cliquer sur le lecteur ci-dessous :
Le nido : « Aide-moi à être par moi-même »
La première de ces ambiances, c’est le nido (nid en italien). Vous entendrez souvent dire que le nido est réservé aux enfants de 0 à 15 mois (ou 18, ou 24). Mais en fait le critère de passage à l’ambiance suivante n’est pas celui de l’âge, mais de la marche assurée.
En effet, si votre enfant marche très vite de façon assurée, cela va libérer ses mains et toute sa motricité. Il pourra faire des activités très différentes et à ce moment-là, il va passer à la communauté enfantine. Encore une fois, l’essentiel n’est pas de fixer une barrière liée à l’âge, mais d’adapter l’ambiance aux besoins spécifiques des enfants, qui changent.
Dans le nido, on trouve des activités très simples, des mobiles, de petits hochets, quelques premiers exercices pour développer la motricité ou la coordination œil-main. Mais avant tout, on aide l’enfant à se structurer en séparant les espaces (pour dormir, jouer, se laver / se changer, se nourrir etc.) et en instaurant une routine, toujours dans le respect des rythmes de l’enfant (on évite de le réveiller par exemple).
On n’oublie pas non plus d’éveiller les sens grâce à de belles images, en commençant par des images très contrastées en noir et blanc, ainsi qu’en chantant beaucoup avec l’enfant. L’enfant va apprendre à se déplacer en s’aidant d’une barre de brachiation ou en montant et en descendant une série de marches. Au niveau du langage, on peut lui proposer des images classifiées, uniquement à l’oral, autour d’objets du quotidien.
La communauté enfantine
Une fois la marche assurée acquise, l’enfant peut passer dans la communauté enfantine (qui regroupe les enfants en gros entre 15 mois et 3 ans).
Il va continuer à beaucoup manipuler, par exemple grâce à des puzzles, de petites planches pour visser et dévisser ou pour faire glisser des anneaux sur des tiges, il va continuer à développer son langage, mais il va surtout commencer à découvrir la Vie pratique (en gros à partir de 2 ans, mais cela dépend beaucoup des enfants).
La Vie pratique, ce sont toutes les activités de tous les jours qui permettent à l’enfant de devenir plus autonome et indépendant. Dans la communauté enfantine, on va isoler ces activités et lui montrer une façon ordonnée de les exécuter, pour qu’il puisse s’entraîner.
On me demande souvent quel est l’intérêt des cadres d’habillement par exemple : est-ce que l’enfant ne pourrait pas tout simplement s’entraîner à boutonner sa chemise sur lui-même ?
L’intérêt du cadre est de décontextualiser l’apprentissage : en général, lorsqu’on demande à l’enfant de boutonner sa chemise, on est pressé, ou du moins on a un objectif (sortir, emmener les enfants à l’école, recevoir la visite de quelqu’un…). Il n’a pas le temps de s’entraîner, de répéter les choses plusieurs fois, de boutonner puis de déboutonner et de reboutonner. Et s’il s’entraîne un jour sur une chemise, le lendemain il en aura une autre, avec des boutons plus larges ou plus fins, et la boutonnière dans l’autre sens, et il ne retrouvera pas ses points de repère de la veille.
L’avantage du cadre, c’est qu’on laisse à l’enfant le temps de s’entraîner, sans aucune pression (d’ailleurs ce n’est pas grave s’il range le cadre sans avoir tout boutonné) et qu’il conserve toujours les mêmes repères, jusqu’à ce que son geste se soit perfectionné et qu’il puisse passer à un autre cadre.
Mais la Vie pratique n’a pas seulement pour but de permettre à l’enfant de s’habiller et de se déshabiller tout seul : il va apprendre à verser de l’eau, à se laver les mains, à ranger, nettoyer, prendre soin de son environnement…
Ainsi, lorsqu’il cassera ou renversera quelque chose, il ne se sentira plus impuissant puisqu’il pourra balayer ou éponger et ainsi réparer sa bêtise. Et l’effort qu’il aura fourni l’incitera à traiter les choses avec plus de respect…
En prenant soin de lui-même et de son hygiène, il prendra aussi conscience qu’il est important, qu’il a de la valeur, de même que tout ce qui est vivant autour de lui : animaux domestiques, plantes etc. dont il faut s’occuper si l’on ne veut pas qu’ils meurent.
Cette Vie pratique est tellement importante qu’elle se poursuit dans l’ambiance suivante et pendant des années !
La Maison des enfants : « Aide-moi à faire par moi-même »
Entre 2 ans et demi / 3 ans et 6 ans, l’enfant rentre dans la Maison des enfants. C’était d’ailleurs le nom de la première école de Maria Montessori, la Casa dei Bambini. Là, il continuera la Vie pratique, mais en faisant des choses de plus en plus compliquées, comme de la couture, du jardinage, du bricolage…
En parallèle, il va découvrir la Vie sensorielle : grâce à un matériel spécifique qui isole les sens un par un, il va raffiner ses perceptions sensorielles comme le goût, l’ouïe, l’odorat, la vision des couleurs ou des formes, le sens thermique, la perception du poids, de la texture, de la résistance, le sens stéréognostique (c’est-à-dire la capacité à reconnaître une forme uniquement grâce au toucher) etc.
C’est pour l’enfant une fantastique découverte de son univers immédiat ! Par ses sens, il commence à percevoir, à classer et à comprendre tout ce qui l’entoure. Tous ces concepts qui nous paraissent évidents : sucré, chaud, carré, rouge, aigu, petit, large, léger, rugueux… nécessitent un véritable apprentissage car ce sont des concepts abstraits.
C’est là qu’il est fondamental de bien isoler la difficulté : la fameuse tour rose est de couleur unie pour que l’enfant puisse se concentrer sur la seule chose qui varie, la taille des cubes. Sinon il risque de se focaliser sur les couleurs et de retenir une séquence de couleurs plutôt que d’exercer sa perception des dimensions.
Mais dans la Maison des enfants, on introduit également la lecture, l’écriture, ainsi que les débuts de la grammaire. Cette dernière est en effet vue comme une aide à la lecture : quand on sait, quand on « sent » la nature d’un mot, cela aide à le prononcer et à l’écrire correctement. Par exemple si je lis « ils viennent » et que je comprends que le deuxième mot est un verbe, je vais me rappeler que le –nt final est muet.
Lecture et écriture sont toujours vues en parallèle, car au fond il s’agit du même travail mais dans un sens différent : il s’agit de codage et de décodage. Et la raison pour laquelle on les introduit si tôt, c’est que cela répond à la période sensible du langage chez le jeune enfant. Sans compter qu’à travers la Vie pratique, on a beaucoup travaillé la motricité fine et la pince pouce-index-majeur qui va servir pour l’écriture, le corps est donc prêt à écrire. Par ailleurs, on a pu introduire beaucoup de vocabulaire dès la communauté enfantine (entre autres à travers les mises en paire d’images et les leçons en 3 temps) et l’enfant est donc curieux de lire et écrire tous ces mots.
Mais si la Vie pratique prépare beaucoup à l’écriture, la Vie sensorielle, quant à elle, prépare au calcul et au système décimal. A travers tout le travail sur les dimensions, l’enfant repère les rapports entre les nombres de 1 à 10 et peut ensuite intégrer les notions de dizaines, de centaines, de milliers et au-delà.
Dans la Maison des enfants, on présente les 4 opérations de manière complète, c’est-à-dire qu’un enfant pourra par exemple faire une addition de 4 nombres à 5 chiffres ou une multiplication de 2 nombres à 8 chiffres. Une fois les opérations bien comprises, la technique va de soi et est facile à apprendre.
On peut même introduire les fractions, qui seront vues de façon très simple et très sensorielle grâce à des disques découpés.
L’école élémentaire : « Aide-moi à penser par moi-même »
A 6 ans, l’enfant vit une petite révolution intérieure : alors qu’il avait besoin de se concentrer sur la découverte de son environnement immédiat, il s’ouvre sur le monde et commence à se poser de nombreuses questions. Ce n’est pas pour rien que la sagesse populaire y voit souvent l’âge de raison.
C’est à 6 ans que l’on présente généralement aux enfants les cinq « grands récits » qui retracent l’apparition de la Terre, l’apparition de la vie, l’apparition de l’homme, l’apparition de l’écriture et l’apparition du calcul. Ces grands récits marquent le début de ce que l’on appelle « l’éducation cosmique ». Un terme faussement New Age qui signifie en fait « éducation relative à l’ordre du monde », c’est-à-dire à la façon dont l’univers s’organise.
- Le premier grand récit, celui de l’apparition de la Terre, marque les débuts de la géographie, que l’enfant n’a fait qu’aborder avant 6 ans. En effet, comment étudier la terre (« géo »), sans expliquer comment elle s’est formée ?
- Le deuxième grand récit, qui décrit l’apparition des premières formes de vie, permet de lancer un grand travail sur la botanique et la zoologie.
- Le troisième, sur les premiers hommes, va poser les bases de l’histoire.
- Le quatrième, sur l’invention de l’écriture, replace tous les apprentissages que l’enfant a déjà fait autour du langage dans leur contexte. Il explique pourquoi nous communiquons comme nous le faisons et permet d’ouvrir à des langues étrangères.
- Le cinquième, sur l’invention du calcul, est intimement lié aux mathématiques et à la géométrie. Ces domaines ont pour but de quantifier, de mesurer le monde afin de mieux le comprendre.
A partir de ces grands récits, l’enfant va donc découvrir énormément de choses et ce jusqu’à 12 ans : en vrac les puissances mathématiques, les exponentielles, les nombres décimaux, le théorème de Pythagore, les synonymes, l’étude des différents styles littéraires, l’interprétation d’un texte, les différents reliefs géographiques, les caractéristiques des différentes familles d’animaux et de végétaux, les pays du monde, la notion de chronologie etc.
Comment on étudie les reliefs géographiques en Montessori…
L’erdkinder : « Aide-moi à être avec les autres »
Entre 12 et 18 ans, période de l’adolescence, les besoins de l’enfant changent considérablement. C’est un âge où il est primordial de développer la responsabilisation et la sociabilité. C’est pourquoi la proposition de Maria Montessori pour les adolescents est très différente de ce que l’on envisage généralement dans les collèges et les lycées : elle recommande de réunir les adolescents sur un lieu où ils pourront exercer des responsabilités et être en lien avec la nature, comme une petite ferme avec une entreprise de vente ou un gîte.
Pas question de les enfermer et de les garder assis derrière un bureau toute la journée, c’est un âge où ils ont besoin de se dépenser et de prendre conscience de l’impact qu’ils peuvent avoir sur le monde.
L’adolescent montessorien est déjà extrêmement autonome et il peut poursuivre son apprentissage en autodidacte, avec le soutien de l’adulte qui devient un mentor. Par ailleurs, c’est l’âge où l’on apprend autant de ses pairs que des adultes, d’où l’importance de la vie en communauté (il peut même y avoir une proposition d’internat).
Dans cette tranche d’âge où les changements physiques peuvent être bouleversants et perturbants, l’accent doit aussi être mis sur le respect de l’autre.
Le contrôle de l’erreur devient évident lorsque l’on travaille la terre : c’est la nature qui se charge de nous montrer nos erreurs. Les adolescents se perfectionnent également en artisanat et en art pour devenir des êtres humains plus complets.
C’est l’avantage de suivre les périodes sensibles de l’enfant : les apprentissages plus académiques ont eu lieu pour l’essentiel avant 12 ans, ce qui permet de laisser aux adolescents une plus grande liberté de mouvement et de privilégier les activités très concrètes, dans lesquelles ils peuvent appliquer ces connaissances scolaires.
Le jeune adulte : « Aide-moi à être dans la société et à m’y investir »
Pour Maria Montessori, hors de question de renvoyer le jeune adulte sur les bancs de la fac. La caractéristique de l’adulte, c’est qu’il a un rôle à jouer dans la société, SON rôle qui lui est propre. La période entre 18 et 24 ans est là pour l’aider à trouver cette place.
D’ailleurs le succès de l’alternance et les retours des jeunes le montrent bien : à cet âge ils ont besoin d’apprendre sur le tas et de jouer un véritable rôle dans une entreprise ou une communauté. Là encore, la grande avance académique prise avant 12 ans leur a donné des bases solides, à partir desquelles ils pourront continuer à apprendre toute leur vie.
Dans le monde d’aujourd’hui, où l’on change plusieurs fois de métier au cours d’une même vie, cette proposition me semble plus que jamais d’actualité. Jamais les jeunes n’ont eu autant de diplômes et jamais ils n’ont eu autant de mal à trouver leur place dans la société… D’autres pays l’ont d’ailleurs déjà en partie compris et ne voient les diplômes que comme la preuve que quelqu’un est capable d’apprendre et de travailler, quel que soit le domaine. C’est ainsi qu’en Angleterre, un étudiant en lettres anciennes peut très bien travailler dans une banque, où il sera formé sur le tas, et où à l’inverse une scientifique peut tout à fait enseigner l’art de la traduction (ça a été mon cas !).
Voici donc pour résumer les différentes propositions de Maria Montessori de la naissance à 24 ans. Elles sont toutes d’une remarquable pertinence aujourd’hui et même si les ambiances les plus fréquentes sont celles de 0 à 12 ans, j’espère que dans les années à venir, les collèges et les lycées Montessori pourront se multiplier pour permettre à toute une génération de développer son plein potentiel !